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  • Photo du rédacteurMarie Bartoleschi

L'audace de viser les étoiles



En novembre 2018, dans le cadre de mes activités associatives, j'ai eu la chance d'interviewer Jean François Clervoy, l'un des 10 astronautes français.

J’ai été particulièrement touchée par la simplicité et l’accessibilité de cet homme qui pourtant vit une vie « hors-norme ». Il incarne avec humilité la citation d'Oscar Wilde: « il faut toujours viser la lune, car même en cas d’échec, on atterrit dans les étoiles ». Un parcours qui me rappelle simplement que l’on peut rêver grand et que parfois, les seules limites qui nous freinent sont celles que nous nous mettons nous-même. Je garde en tête l'une de leçon qu'il souhaite transmettre : il ne faut jamais oublier de regarder les étoiles. Elles nous rappellent que rien n’est impossible et nous permettent de garder notre capacité d’émerveillement intacte.


Beaucoup d’enfants rêvent de devenir astronaute alors qu’une écrasante majorité ne le deviendra jamais. Qu’est-ce qui fait qu’un rêve aussi extraordinaire peut devenir une réalité ?


Pour que cela se réalise, il a fallu deux étapes.

Quand j’étais jeune, mon père était pilote de chasse et j’avais tout juste onze ans quand les premiers hommes ont marché sur la lune. Je regardais les images à la télé et je rêvais d’aller dans l’espace, comme touriste plutôt qu’en tant qu’astronaute. Adolescent, j’étais fasciné par le radiomodélisme, les maquettes d’avion et les voitures télécommandées. Pour moi, c’était une façon de téléporter de l’intelligence humaine et d’agir à distance. J’ai suivi mes études d’ingénieur en voulant être télécommandeur de sonde interplanétaire. Je voulais travailler à la conception de vaisseaux spatiaux et faire partie de ceux qui commanderaient à distance des machines construites par l’homme que l’on envoie à des millions, des milliards de kilomètres. J’étais aussi un peu aventurier sur les bords sans me rendre compte que c’était une qualité propice pour devenir astronaute. J’avais tous mes brevets de parachutisme sportif, de pilote privé. Je faisais des randonnées dans des milieux un peu extrêmes. J’ai commencé à travailler au CNES (l’agence spatiale française) à l’âge de 25 ans sur la sonde franco-russe Vega qui étudie la planète Vénus et la comète de Halley. Lorsqu’ils ont appelé de nouveaux candidats, il m’était impossible de ne pas candidater. Je trouvais ça naturel compte tenu de ce que j’étais et de ce qui me fascinait. C’est véritablement à ce moment-là que j’ai voulu être astronaute en réalisant que c’était un métier fait pour moi.



Est-ce que tu te souviens du moment précis où tu as réalisé que c’était pour toi ?


Il n’y a pas eu un moment précis. Chaque étape de sélection est un filtre, un entonnoir qui ne retient que 10 % des candidats pour la suite. Les étapes sont ordonnées de telle manière que les plus difficiles, celles qui coûtent le plus chers, sont à la fin. Au début, ce sont des épreuves écrites. Les tests physiologiques, la centrifugeuse, le tabouret tournant, la chambre d’altitude sont gardés en dernier. A chaque nouvelle étape, je me rapprochais un peu plus de mon rêve. A la fin, on m’avait sélectionné mais je n’étais pas encore affecté à une mission. J’étais reconnu comme faisant partie d’un corps d’astronautes aptes au vol spatial sur le plan physique, psychologique, intellectuel, etc. Après le CNES, je suis allé à l’ESA qui m’a envoyé à la NASA où j’ai reçu un entraînement. J’y étais détaché à temps complet, à Houston. J’ai commencé à mettre l’autre pied dedans le jour où le chef de la NASA m’a convoqué dans son bureau pour me dire que les noms de l’équipage de STS-66 seraient annoncés le lendemain et que j’en ferais partie. C’est là que j’ai su que j’allais voler et ça a été presque plus intense que le jour où je suis allé vers le pas de tir pour faire mon job. 


On parle beaucoup de l’importance d’avoir une vision claire de son objectif pour le réaliser. Etait-ce ton cas ?


Oui, je rêvais la nuit au sens propre que je volais dans l’espace. Je n’avais pas besoin de scaphandre ni de fusée. Je faisais des sorties hors du corps dans mes rêves. Je suis très visuel et j’imaginais mentalement que je m’élevais au-dessus de la maison, du quartier, de la ville. Je me projetais visuellement comme regardant d’en haut.


Est-ce que le fait d’être allé dans l’espace a changé ta façon d’envisager ta vie sur terre ?


Cela n’a pas changé qui je suis car je suis convaincu que l’on ne change pas qui l’on est profondément. Mais cela m’a enrichi d’une expérience qui a fait évoluer mon regard. J’ai des pensées que je n’aurais pas eu autrement, je crois. Cela m’a apporté des réponses que je n’aurais jamais eu car je ne me serais jamais posé les questions. C’est un changement dans le sens où je me suis enrichi d’une expérience extraterrestre, inhumaine, inhabituelle, non ordinaire. Mais pas forcement plus que celui qui rêve dans sa vie de gravir le Mont Everest et qui réalise son rêve. 


Tu es allé trois fois dans l’espace. Est-ce à chaque fois aussi extraordinaire?


Complètement. Mais il faut arriver à prendre du recul sur sa position d’astronaute professionnel. Ce n’est pas évident car les vols en navette sont très intenses, la navette ne pouvant faire que des trajets courts de 10 à 15 jours. J’ai des collègues qui oublient de regarder les étoiles depuis l’espace. Quand on regarde par le hublot, on ne voit pas les étoiles du tout. Pour y parvenir, il faut éteindre les lumières, se mettre dans une orientation particulière pour éviter d’être pollué par la lumière. Cela demande toute une préparation. J’étais aussi excité les trois fois, avec la même intensité. C’est comme les vols paraboliques, je vole à chaque fois comme si c’était la première fois, parce que je cherche à ressentir au maximum les sensations et les émotions. J’aime profiter du fait que l’on soit doté de sens pour leur faire vivre les choses les plus inhabituelles possibles. C’est comme se jeter d’un avion même si vous savez que vous avez un parachute et que vous allez arriver vivant. Il y a quelque chose d’anormal. J’ai fait plus de 150 sauts en un an et demi pendant mon service militaire ou quand j’étais à l’école polytechnique. Même au bout de la 150ème fois, j’ai toujours eu cette même sensation d’être « dingue » de monter dans cet avion sachant que je n’allais pas redescendre avec. Il faut véritablement se faire violence intellectuellement et ne plus écouter sa raison le temps du saut. Mais arrivé en altitude, au moment où la porte s’ouvre, c’est une vraie sensation de libération. Il faut le vivre…




"Aller dans l'espace n’a pas changé qui je suis car je suis convaincu que l’on ne change pas qui l’on est profondément. Mais cela m’a enrichi d’une expérience qui a fait évoluer mon regard."


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