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  • Photo du rédacteurMarie Bartoleschi

Par-delà les lignes de failles



Anna a été une des premières personnes que j’ai rencontrées à mon arrivée sur Bordeaux. J’ai vite découvert derrière cette belle femme élégante et entrepreneuse multi-potentielle un parcours de vie marquant et marqué. De notre rencontre, je garde en mémoire la générosité et la volonté d’avancer de cette femme de cœur.




Peux-tu me parler de ton chemin de reconstruction ?


Je me suis reconstruite après avoir subi deux viols et deux agressions : à 3 ans par mon baby-sitter de 18 ans, à 9 ans par un inconnu qui m’a attrapée, coincé contre un mur, soulevé mon tee-shirt pour caresser mes seins naissants et mis sa langue dans la bouche, à 12 ans par un ami de mes parents et à 15 ans par 4 hommes dans la rue que j’ai croisés et qui ont jugés bon de me donner des claques à tour de bras pour le plaisir.


Ces épisodes m’ont évidemment abimée et j’ai eu un mal fou à supporter la présence d’un homme plus âgé que moi de longues années. Je crois également que ma fragilité au fur et à mesure de ma croissance donnait des alertes aux prédateurs… Toute confiance en un adulte masculin s’est effacée et même mes parents n’y ont pas fait exception, ne m’ayant pas sentie soutenue par eux lors de ces différents épisodes. Mes parents sont des êtres adorables et merveilleux mais ils n’ont pas été à la hauteur, probablement aussi traumatisés que moi. Aussi me suis-je battue pour être le plus libre possible (entendez par là, finir mes études rapidement, devenir autonome et me construire seule loin de tous). Ce n’était pas forcément une bonne idée et je ne le recommande pas au risque de se renfermer sur soi-même. Cependant, cela répondait à un besoin personnel de me donner un « challenge » : m’en sortir seule pour devenir plus forte. Bac en poche, j'ai donc travaillé dès mes 18 ans tout en continuant mes études. J’ai beaucoup lu pour apprendre à pardonner mais surtout pour mieux me pardonner. Je crois que c’était là l’élément fondamental. Nos parents sont comme tout le monde, avec leurs traumas, leurs capacités à gérer l’horreur et on ne peut pas leur en vouloir d’être faillibles. La famille, lorsqu’elle est saine et généreuse, reste importante ; elle est un socle. Les mots, le dialogue le sont aussi. Mon histoire reste un sujet tabou mais il a fini par faire l’objet de longues conversations qui sont aujourd’hui loin derrière nous. Il est inutile de raviver des plaies qui ont été correctement cicatrisées. Et surtout, il faut avoir s’entourer, avoir des amis, rire, sourire, profiter de la vie. N’est-ce pas là la meilleure thérapie qui soit ?


Quels ont été les éléments-clés de ta guérison ?


Je m’en suis sortie grâce à une année semi sabbatique au cours de laquelle j’ai été intérimaire pour gagner le strict minimum dont j’avais besoin pour vivre. J’avais besoin de changer de collègues en permanence, pour ne m’attacher à personne et rester concentrer sur moi. C’était donc un idéal qui me convenait tout à fait. Je pense également que j’ai toujours eu une force et un optimisme très présent qui m’ont permis de me relever.


J’ai choisi de m’offrir volontairement cette année de repli à l’âge de 25 ans pour me concentrer sur moi, faire du sport, méditer, lire, me donner des objectifs. Je me reconstruisais avec mes mots clés sur post-it partout dans mon appartement : "je suis forte", "je m’aime", "je suis une femme créative", "je suis intelligente", "je suis belle"… Ça n’a rien de présomptueux, j’avais simplement besoin de me rassurer, de m’auto-convaincre de qui j’étais. Lorsqu’on est profondément salie et blessée, on s’autodétruit, on se dévalorise, on merde ses études, ses amitiés, ses histoires d’amour aussi. Mon pauvre petit ami de l’époque, je l’ai dégagé 50 fois et il revenait, revenait, avec toujours l’envie de me prendre dans ses bras et de me soutenir. On abime tout ce qu’on touche, on ne se voit pas comme on le devrait. Grâce à mes lectures, je me suis reprise en main, à raison d’un livre tous les trois jours.


J’incluais des petites routines. Pour me sentir belle et bien dans mon corps, je pratiquais de la gymnastique à raison de 45mn tous les matins 5j/7. Je pense que se trouver désirable dans un miroir est une des clés pour commencer à s'aimer. Je faisais des recherches nutritionnelles pour dynamiser mes journées et mon corps (un corps sain dans un esprit sain). Je me suis acheté un appareil à smoothies et j’ai dévoré des fruits et des légumes. Il s’agissait de me faire plaisir avec de délicieux petits plats concoctés selon mes envies. C’était mon cadeau quotidien avec une plaquette de chocolat (entière oui !). Il faut savoir s’offrir des cadeaux tous les jours, on le mérite !


Je lisais tous les jours pendant trois heures en prenant des notes et je révisais les prises de notes de la veille. Je m’installais à mon bureau pour écrire mes préceptes dans un petit bloc-notes qui rentrait dans mon sac à main pour le relire et l’enrichir à volonté. Le travail d’écriture est très salvateur. Mais attention, j'avais interdiction de me plaindre, mon bloc-notes était exclusivement constitué de formulations positives et à l’arrivée mes préceptes tenaient en 20 points.


Je partageais mes recherches avec mes sœurs, ce qui m’a aidé non seulement à mieux les intégrer mais à m’auto-convaincre. Je suis certaine que les expériences de vie des uns et des autres peuvent nous inspirer sans devenir les nôtres. Pour se les approprier, il faut les nourrir de nos envies pour entretenir notre motivation.


Comment as tu refais une place à l’intimité dans ta vie après cela ? 



Je trouve important de parler de sexualité parce qu’on ignore souvent ce que les femmes violentées deviennent. J’ai évidemment tout rejeté, en bloc. M’imaginer dans les bras d’un homme m’était tout bonnement insupportable. Le toucher désagréable. Et puis, j’ai voulu rentrer dans les rangs, y avoir droit, pour toucher le bonheur d’encore plus prêt. Je ne me suis pas tournée vers les femmes, j’ai préféré refaire un tour en librairie, m’instruire, apprendre à m’occuper de moi. Je pense que là aussi, il s’agit d’un travail préparatoire fondamental. Mon postulat aujourd’hui : rien n’est inné, tout s’apprend, tout s’affirme et se travaille. Tout est à portée de main si on s’en donne les moyens et nous en sommes tous aussi capables les uns que les autres, j’en suis persuadée. J’ai choisi les hommes que j’ai mis dans mon lit et ça n’a pas été une réussite jusqu’à ce que je rencontre mon mari d’aujourd’hui qui m’a aidée à finaliser mon épanouissement.


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